lundi 20 juin 2011

Qui est Sam Ravier ?


La peau tendue du fruit à peine mûr se trancha avec netteté, cédant sans résistance sous la lame aiguisée de son couteau. Son souffle presque coupé n’osait rompre le silence qui régnait. Cet instant paraissait comme suspendu dans le temps. Ses yeux contemplaient avec un émerveillement enfantin la pulpe du fruit jaillir et se répandre sur la table. On pouvait presque entendre le flot du jus qui s’écoulait mais le sang de Jessica avait produit un bruit différent, presque cristallin lorsque quelques minutes plus tôt, ce même couteau lui avait tranché la gorge.









Table 3

Le restaurant était bondé. Les conversations s’animaient à chaque table, se mêlaient dans un brouhaha assourdissant, s’élevaient au dessus de la pièce tel un essaim d’abeilles menaçant, se rapprochant, l’étouffant. Il était sorti pour combattre sa phobie mais ce n’était pas son idée. Affronte ta peur, avait dit son psy en prenant un air dramatique de cinéma, le poing levé. Pourquoi était-il venu ? Pourquoi n’était-il pas resté dans sa chambre obscure, silencieuse ? A l’abri derrière sa porte fermée à double tour qui le protégeait du monde extérieur. Il lança des regards désespérés autour de lui. Tout ce qu’il pouvait voir, c’était leurs bouches, qui engloutissaient la nourriture, se refermaient puis s’ouvraient à mesure que celle-ci était brouillée, réduite en miette avant d’être envoyée, presqu’entière au fond de leurs gorges. Leurs yeux révulsaient. Des bruits sortaient de leurs lèvres. Une conversation. Un échange de paroles futiles et calculées dans un flot qui lui était inintelligible. Ils projetaient des miettes qui envahissaient peu à peu la nappe, la maculant d’infimes tâches noires dans leur plus totale indifférence. Avaient-ils conscience de ce qu’ils mangeaient ? Ou bien leur appétit leur était-il égal, tant leur attention était portée sur autre chose. Sur quoi ? Il suivit le regard du jeune homme qui se trouvait en face de lui. Ses yeux suivirent avec lui le détail de ses formes vulgairement offertes. La hanche trop courbée, le buste trop penché, la bouche entrouverte. Savait-elle seulement ce qu’il allait penser d’elle ? Oui, c’est ce qu’elle veut. C’est ce qu’elles veulent toutes. Susciter son envie. Réveiller son désir. Pourquoi faisait – elle ça ? Elle s’amuse avec lui. Avec moi.
Il porta les mains à ses oreilles, ferma les yeux et laissa son front tomber lourdement sur la table. Il tenta de reprendre son souffle. Il ne voulait pas attirer l’attention. Ils ne devaient pas le voir. Il releva la tête et aspira une profonde bolée d’air.
« Monsieur, ça va ? » Un bout de doigt froid effleura son bras. La surprise le fit hoqueter. Il leva la tête et rencontra le regard de la serveuse. Elle était près de lui. Il pouvait presque sentir l’odeur de sa peau qui se mêlait à celle inutile d’un parfum de femme. Elle passa une main dans ses cheveux pour ramener une mèche volage. D’un noir brun, ils étaient retenus par une pince rouge, rouge baiser. Sa nuque était dégagée et sur sa peau délicate dansaient quelques mèches qu’elle repoussa de la main. Il se retint de les toucher. Ils l’appelaient pourtant. A son bras teintait un bracelet. Comme il aurait aimé être ce bout de métal, caresser sa peau, lui enserrer le poignet. Ses cils peints en noirs clignèrent, ses yeux lui renvoyèrent un regard bienveillant. Non Sam, c’est un piège.
Il ouvrit la bouche pour répondre à sa voix angélique mais se ravisa et se précipita vers les toilettes. Il ouvrit le robinet et se mit la tête sous le jet. Seul dans la pièce, il se laissa apaiser par la fraîcheur de l’eau qui coulait le long de son visage. Le miroir lui renvoya les traits d’un homme fatigué, marqué par de profondes rides qui creusaient ses joues, rendaient son regard triste. A mesure cependant que le calme le gagnait à nouveau, une flamme se ralluma dans les yeux noirs qui lui faisaient face. Un éclair malsain anima soudain ses prunelles.
Il se rassit à sa place et observa d’un œil discret les tables autour de lui. Personne ne semblait s’être aperçu des son absence. La tension dans ses épaules semblait s’être dissipée. Il porta son verre à ses lèvres et but une longue gorgée d’eau. La serveuse se trouvait à une autre table. C’est serein qu’il lui adressa un sourire.



Table 14
-         Tu ne m’aimes plus, lâcha t- elle avec brutalité.
La serveuse posa sur la table leur commande : deux chocolats chauds. C’était le meilleur de tout Paris. Elle choisissait toujours le meilleur.
Avec colère, elle saisit l’anse de la tasse et avala une grande gorgée du liquide brûlant, ce qui, loin de l’apaiser, n’eut pour effet que lui brûler la gorge.
-         Ça n’a rien à voir, répliqua t-il d’un ton exaspéré.
-         Dans ce cas, pourquoi tu refuses de te marier avec moi ?
-         Morgane, je te l’ai dit, je ne suis pas prêt.
-         Ça fait douze ans qu’on sort ensemble. J’habite quasiment chez toi. Ta mère me considère comme sa deuxième fille. Qu’est-ce qu’il te faut de plus ?
Il ne répondit pas, las de répondre à ses arguments qu’il entendait pour la centième fois. Il laissa son regard se promener autour de lui. Il s’attarda sur les autres couples attablés comme eux autour d’un chocolat. A son goût, il était trop sucré. Il n’aimait pas quand c’était trop sucré.
-         Samuel, j’ai supporté tes infidélités, lui dit-elle en saisissant son bras qu’il avait laissé sur la table. Je t’ai prouvé que je t’aimais. Je ne voulais pas avoir à en arriver là mais c’est à ton tour maintenant de me prouver que tu m’aimes.
Il ne répondit toujours pas. Cet argument-là aussi, il l’avait déjà entendu. Il soupçonnait sa mère d’en être à l’origine. Il s’apprêtait à lui poser la question lorsqu’il fut interrompu par la serveuse qui posa devant eux deux assiettes de Mont Blanc – trop sucrés. Son regard se promena sans qu’il puisse le retenir le long du bras de la jeune femme, remonta jusqu’à sa nuque puis dévala les courbes de la dentelle qui entourait en forme de cœur une poitrine généreuse. Un ruban courait le long de l’échancrure, finissant sa course dans le corsage, s’engouffrant dans le creux de ses seins. Il suivit le mouvement d’une chaine en argent qui se colla contre sa peau lorsqu’elle se releva et leur tourna le dos.
Il reporta prestement son attention sur l’assiette qui était posée devant lui, espérant que Morgane n’ait pas suivi son regard. Il était fatigué d’entendre ses supplications. Il ne voulait pas de ce mariage. Pour lui, c’était une cérémonie inutile qui allait l’enfermer avec elle, le cadenasser derrière les portes du foyer qu’elle voulait pour elle. Des enfants viendraient ensuite, c’était inévitable. Il soupira à la pensée que c’était là le sort qui était réservé à chacun. Pourtant, il lui arrivait souvent de penser qu’il n’était pas comme les autres. Comme Morgane. Il aimait son indépendance. Il aimait sortir sans avoir besoin de donner d’explication. Il aimait marcher seul dans les rues sombres. Il aimait la compagnie qu’il y trouvait. Il aimait le regard que ces femmes lui lançaient lorsqu’elles comprenaient. Il aimait sentir le sang bouillir dans sa poitrine quand il laissait ses pulsions le dominer. Il aimait rentrer chez lui tard. Il aimait perdre la notion du temps. Rester sous la douche sans regarder l’heure. Laver ses fautes sans témoin. Cette vie qu’il avait toujours menée allait bientôt prendre fin.
Il repensa à sa mère. Elle n’était pas si différente de lui. Pourtant, elle avait su se conformer aux apparences. Elle savait donner le change. Il imagina son regard posé sur lui. Noir. Implacable. Inévitable. Il allait devoir à son tour suivre les règles, lui qui jusqu’à présent, n’en avait connu aucune. En serait-il capable ? Allait-il pouvoir tourner le dos à cette vie dont il jouissait avec bonheur, sans un regard, sans une dernière danse ?

Un éclat de voix le fît brusquement sursauter, le tirant de sa torpeur.
-         Jessica, s’exclama une voix. La table 15 attend.


Table 15

« Elle est où ? » pensa t-il, exaspéré d’avoir attendu que la serveuse lui apporte sa commande.
Bientôt un quart d’heure qu’il ruminait, dans l’attente de la voir venir à lui. Bientôt un quart d’heure que sa vie avait basculé, définitivement. Il était fini. Tout était fini. Sa passion dévorante pour le jeu avait eu raison de lui. Jamais il ne parviendrait à rembourser le vieux Bourru. Jamais il n’aurait dû l’écouter. Mais Vieux Bourru savait vous parler. Il savait trouver les mots pour vous emmener avec lui là où vous refusiez d’aller. Vous avez beau combattre, tenter de résister. Au final, il gagnait toujours. Le jeu gagnait toujours.
Il n’en avait pas toujours été ainsi. A peine un an en arrière, il avait une vie. Une situation. Une famille. Il était admiré par ses pairs. Il était respecté par sa famille. Un an. Une éternité. Quand tout cela avait-il basculé ? Les paris en ligne. D’abords illégaux. Puis réglementés. Il regardait de loin, sans y prendre part, sans comprendre. Puis il s’était laissé tenter. Une fois. Pour essayer. Il avait gagné. Une seconde fois. Il avait gagné. Seconde ? Non, deuxième. Car il y eut une troisième. Une quatrième. Il était bon. Il avait confiance. Il était sûr de lui. Une cinquième. La défaite. Cuisante. Intolérable. Momentanée. Une sixième. La victoire. Evidente. Il se connaissait. Il connaissait ses limites. Vraiment ?
Il cessa bientôt de compter. Il passait de plus en plus de temps les yeux rivés sur son écran de télé, ne le quittant que pour scruter celui de son ordinateur. Lassé d’entendre les jérémiades de sa femme, il avait installé un poste dans le bureau, qu’il ne quitta bientôt plus.
Il prît conscience de sa situation lorsqu’un jour, en pénétrant dans la pièce, il trouva trois choses : une couverture, un plateau repas et dessus, un simple mot : « Tu nous manques. »
Il comprit alors qu’il était allé trop loin. Il avait pris le plateau repas et l’avait emmené dans la cuisine. Il y avait retrouvé sa femme et ses fils. Ils avaient mangé, ils avaient ri. Ensemble, ils avaient bordés leurs enfants. Puis il avait accompagné sa femme dans leur chambre et lui avait fait l’amour. Comme avant. Dans la nuit, il s’était levé et s’était rendu dans son bureau.
Sa rencontre avec Vieux Bourru datait de quelques semaines. A ce moment-là, la situation s’était empirée. Il s’était lourdement endetté. A son travail, son manque d’implication n’était pas passé inaperçu et il avait été rétrogradé. Impossible de demander une avance. Que pouvait-il faire d’autre ?
Il avait accepté le prêt de ce parfait inconnu, connaissance d’une connaissance. Mais il avait encore perdu.
« Tu veux que je fasse quoi ?!
-         Ne me force pas à le répéter.
-         Tu te rends compte de ce que tu me demande ?? Quand tu m’a passé l’argent, il a jamais été question de ça.
-         Quand je t’ai passé l’argent, il était question que tu me rembourses. Et crois-moi, Sammy, d’une façon ou d’une autre, tu vas me rembourser !
-         Je ne peux pas. C’était juste un peu d’argent ! Là, ce que tu me demandes, c’est… c’est carrément… Je la connais même pas, cette fille. Je ne peux pas. Ecoutes, je vais te rembourser. Donnes moi un peu de temps et…
-         Arrêtes de te foutre de moi. On sait tous les deux que tu feras rien. On s’est déjà occupé de ta femme. Tu veux peut être qu’on passe chercher tes gamins à l’école ?
Sa tête lui faisait un mal de chien. Il n’entendait plus rien, les oreilles assourdis par les hurlements de sa femme à travers le combiné. Il ferma les yeux et les visages de ses fils s’imprégnèrent sur sa rétine. Il prit une profonde inspiration. Comment en était-il arrivé là ? Et ce Mont Blanc qui n’arrivait toujours pas…La serveuse surgit brusquement devant lui et lui adressa un sourire. « Excusez-moi pour l’attente, Monsieur. »
Il baissa la tête pour éviter son regard. Ses yeux se posèrent sur sa main lorsqu’elle posa le dessert devant lui. Il vit le détail des étoiles tatouées sur son poignet droit. « Trois petites étoiles filantes »
« Ce n’est rien » répondit-il.
Ce n’est rien. Ça va aller. Comme avant. Les choses vont s’arranger. Il releva la tête et adressa un sourire à la jeune fille qui déjà s’éloignait. L’avait-elle seulement regardé ?


Table 9

            Le claquement de la porte l’interrompit dans sa rêverie. Elle était installée près de l’entrée. La serveuse avait hésité à la placer là mais la salle était bondée. Aucune autre table. Elle l’avait rassurée d’une grimace travestie de son mieux en sourire et s’était assise. Qu’est-ce qu’elle en avait à faire des courants d’air ?
Dans un premier temps, elle avait fait mine de regarder la carte mais bientôt, son regard ne quitta plus celle qui lui avait sourit quelques minutes plus tôt. Elle la détailla sans se soucier de se cacher des autres clients. La vue des parisiens ne portait pas plus loin que le bout de leur nez.
Elle était petite. Du moins plus petite qu’elle. Son chemisier, échancré, moulait comme un fourreau le haut de son corps. Sa jupe droite dessinait le contour de ses hanches. Des cuisses un peu rondes s’affinaient au genou pour repartir de plus belles en deux mollets de même forme. Des chevilles nettement dessinées terminaient ses jambes dont la peau satinée se contractait à chaque pas qu’elle esquissait. Son allure était chaloupée. Sa silhouette ondulait et elle semblait valser d’une table à l’autre. Ainsi donc, c’était elle. Elle s’était attendue à voir une grande blonde siliconée, vulgaire. Mais celle qu’elle avait devant elle n’avait rien à voir avec ça. Qu’est-ce qui avait attiré son regard ? Elle avait un charme commun, banal. Cela la consolait-elle davantage ? Pas vraiment.
Elle les imagina sans peine. Leur corps embrasés qui se serraient l’un contre l’autre dans une étreinte interdite. Leurs souffles haletants, leurs peaux ruisselantes. Elle imagina ses mains qui glissaient le long de son corps, descendant le long de son dos, la dévorant du regard. Elle imagina sa langue courir le long de sa nuque. Elle la voyait s’accrocher à lui, l’enlacer de ses jambes pendant qu’il entrait en elle, plongeait son regard dans le sien. Criait-elle lorsqu’elle s’abandonnait à lui ? Que lui demandait-il ? Que lui demandait-il qu’elle ne pouvait lui offrir, elle sa femme depuis dix ans. L’avait-il trompé dans leur cuisine? Dans le salon ? Dans la chambre ? Dans ce lit qui avait été le leur pendant tant d’années ?
Elle ferma les yeux, assagie par des images qu’elle ne voulait plus voir. Elle avait fini par le découvrir, comme on découvre un parfum de femme sur une chemise d’homme, et elle l’avait suivi.
Il n’avait pas nié. Elle s’était effondrée, attendant ses excuses, ses pardons, ses promesses. Mais au lieu de ça, en silence, il avait sorti un sac. Elle l’avait regardé, incrédule. Sans un mot, il avait quitté la maison. Sans un mot, mais une phrase. « C’est fini ma puc.., Samantha. »
Elle était restée sur le sol plusieurs minutes, plusieurs heures. Puis son corps s’était relevé, s’était dirigé vers le garage puis était revenu dans la chambre. Impuissante, elle avait observée ses mains asperger le lit d’essence puis gratter une allumette. Elle avait regardé celle-ci tomber de ses doigts. Comme jamais elle se sentait spectatrice de ses actes, spectatrice de cette vie qui n’était finalement qu’une pièce de théâtre.
Puis ses jambes l’avaient conduite à sa voiture et elle était maintenant assise à cette table, regardant à présent celle qui avait fait partir sa vie en fumée. Le savait-elle ?
Si elle avait été maîtresse d’elle-même, elle aurait remarqué que celle-ci n’avait pas semblé la reconnaître.
Mais son esprit s’était enfui, effrayé par le gouffre morbide qui avait aspiré le paradis dans lequel elle vivait. Elle était désormais seule, au milieu des flammes chatoyantes de l’enfer. Seule ? Plus pour longtemps.












Un cercle n’est qu’une ligne droite revenue à son point de départ.

Fréderic Dard


Le vent s’engouffra dans les branches nues puis glissa sur la chaussée et s’enfuit dans les allées où il croisa des passants solitaires. Comme il pouvait en voir, des âmes seules qui erraient tels des zombies dans les rues de Paris, toisant d’une haine envieuse ceux qui marchaient par deux. Son chemin rencontra celle d’une silhouette frêle qu’il vit avec délice greloter lorsqu’il l’enveloppa de son souffle froid.

            Il était tard lorsqu’elle sortit. Le service était terminé depuis une heure déjà mais elle était restée, écoutant sans l’entendre le barman raconter ses derniers déboires tout en essuyant ses derniers verres. Il l’avait dragué dès son premier jour, lui adressant son plus beau sourire auquel elle avait répondu.
Elle répondait toujours. Elle ne pouvait pas s’en empêcher. Jamais elle ne disait non à un homme.
A chaque fois, le rictus de sa mère lui revenait. « T’es bonne à rien. Sauf à montrer ton petit cul à tous les hommes que tu croises. Vas-y, continues, ton père aurait été fier de toi. »
Son père. Son père qui l’emmenait à l’école lorsqu’elle était toute petite. Son père qui lui apprenait à faire du vélo. Son père qui la laissait le regarder lorsqu’il réparait sa voiture. Sa voiture qui avait tué son père. Et elle aussi ce jour là.
« Tu veux de la compagnie ce soir ? »
Le ton implorant du pauvre type la ramena dans le bar. Elle croisa un regard qui déjà la dégoutait. La dégoutait de lui, mais surtout d’elle-même. En guise de réponse, elle porta à ses lèvres le verre qu’il lui avait servi. La liqueur lui brûla la gorge. Elle lui brûlait toujours la gorge mais au moins, elle la maintenait debout. C’était la vie qui la saoulait, pas l’alcool. Celui-ci l’adoucissait, lui faisait oublier, la faisait s’oublier.
« Non, excuses moi mais pas ce soir. Je suis lessivée. A demain. »
Elle se leva et sortit. Il ne prononça pas un mot, pas même un au revoir. Elle s’en foutait. Il n’était rien. Rien qu’un de plus jusqu’au prochain.
Le froid de la rue la saisit. Un frisson la parcouru brusquement et d’une main tremblante, elle referma son manteau en cuir élimé. L’heure du dernier métro était passée. Elle s’engagea sur le trottoir, en direction des quais.
Elle écoutait le son de ses pas qui claquaient sur les pavés. Paris, ville Lumière, éclairait son chemin dans une douceur apaisante. Seule dans les rues, la capitale semblait lui appartenir. Elle inspira profondément, fermant presque les yeux.
Une voiture ralentit près d’elle. Le bruit de ses pas en revanche se fit plus rapide. D’un coin de l’œil, elle surveilla la chaussée, espérant ne pas voir se rapprocher la citadine noire.
« Mademoiselle ! » Plus besoin de feindre. Il la suivait. Elle s’arrêta brusquement et se retourna, le regard déjà exaspéré par habitude.
« Oui ? » Elle répondit. Elle répondait toujours.
« Permettez que je vous raccompagne ? »
Elle le reconnu. C’était un client qu’elle avait servi dans la soirée. Elle lui adressa un sourire. Elle ne pouvait pas s’en empêcher.
« Oui, pourquoi pas… »
Elle s’engouffra dans la voiture par la portière qu’il venait de lui ouvrir. Sans réfléchir.
Jamais elle ne disait non à un homme.
Un rictus lui répondit, et la voix de sa mère résonna longtemps dans sa tête.